Il me paraissait idoine de publier ci-dessous les propos du général Lalanne-Berdouticq, en clôture d'un séminaire à l'I.H.E.D.N. (Institut des Hautes Études de la Défense Nationale).
Le discours a été prononcé
par le général Lalanne-Berdouticq (ancien commandant du 3ème régiment étranger
d’Infanterie et ancien chef du bureau de liaison de la Force intérimaire des
Nations Unies au Liban – FINUL 2), lors de la clôture d'une récente session de
l'IHEDN.
Pourquoi?Tout d'abord parce qu'étant auditeur IHEDN, un de mes rôles est d'être "un relais" si en effet je pense que c'est pertinent ;
Ensuite, la publication récente dans Challenge de cet article sur "Comment Bercy veut saigner à blanc l'armée?" amène à tout citoyen de réfléchir à ce qui se passe actuellement en coulisses depuis de nombreux mois ;
Enfin, il y a cette remarque d'un français actuellement en poste à l'étranger concernant le peu de réactions ... "[..] une certaine torpeur voire une léthargie certaine. Le temps des discours est fini." ...
Et oui, un grand nombre de nos concitoyens peuvent être amené à penser que :
- Prendre position sur le web est délicat;
- D'être pris pour la "mouche du coche" même ce qui dit est pertinent, n'étant pas dans le cercle restreint des décideurs ou dans le process(us) décisionnel ;
- Agir prend de l'énergie ou coûte. Combien y a-t-il de dossiers, de rapports qui sont réalisés sachant par avance que les décisions sont déjà prises ... Alors pourquoi s'engager? Pourquoi tenter d'influencer le "Livre Blanc"?
Mais "la Torpeur, la léthargie..." ne peuvent-elles pas cacher des "effet de seuil" et s'apparenter à de "l'eau qui dort"; 1936? Cela ne vous rappelle rien? Nommer un "vrai patron" de la Cyberguerre qu'en 2012 n'est-ce pas aussi interrogatif? ;
- Discourir c'est à la portée de tout à chacun. Discourir pour plaire fonctionne. Discourir sans réel stratégie est facile. Discourir avec un double discours est dangereux car elle sape la confiance ou amène le conflit ;
- Trouver des solutions n'est pas à l'ordre du jour? Et pourtant il existe au moins des directions alternatives pour réduire les coûts de la défense en étant meilleur à l'export (réduction du prix unitaire par effet de volume). Cela demande une véritable politique, une vraie volonté de réussir dans un monde compétitif et globalisé, des compétences nouvelles et s'appuyer sur des PMEs. Cela demande de la volonté et de sortir de certains cercles de pensées. Le veut-on vraiment?
Je laisse maintenant la parole à un "Pro".
"C'est intelligent, plein de bon sens, brillamment construit et d'une limpide clairvoyance. C'est la vision d'un stratège éclairé, libre de tout dogme et de toute entrave intellectuelle, raisonnablement optimiste mais terriblement inquiet aussi de la lente dérive de son pays." pour reprendre les propos d'un anonyme...
Bonne lecture.
… Après ces dix huit jours inoubliables à travailler
ensemble, à vous forger des amitiés dont certaines seront définitives, à voir
les choses différemment, voici ce que, comme votre « entraîneur » et un peu «
ouvreur de voie », je voudrais vous dire. En toute liberté bien sûr et avec mon
franc-parler habituel !
Le monde est
complexe et dangereux
Il est loin des « blocs » que nous avons connus des
décennies durant, aussi bien que de la « fin de l’histoire » que l’on nous
annonçait voici vingt ans, et encore plus loin de la « paix définitive » qui
aurait permis « d’engranger les dividendes de la paix » chers à des hommes à la
courte vue.
Ce monde, notre monde, reste dangereux. Comme les prophètes
que personne n’écoutait dans les années 1930, je ne cesse de dire que le
décuplement des dépenses militaires en Extrême-Orient depuis dix ans devrait
nous inciter à mieux surveiller les diminutions insensées que subissent les
nôtres. Dans l'Histoire en effet les mêmes causes produisent les mêmes effets
et il y a donc tout à craindre des abandons qui se produisent chez nous.
Mais encore faudrait-il voir le monde comme il est et non
comme beaucoup voudraient qu’il soit.
Méfions-nous du « prêt à penser »
Il est presque toujours faux et ordonné à des fins peu
recommandables.
Non le Kosovo n’est pas meilleur après la campagne qu’y ont
conduite les alliés en 1999, montée suite à une incroyable guerre
d’intoxication médiatique diabolisant les Serbes et présentant les Albanophones
comme des anges persécutés…
Il en résulta la fondation du premier pays[1] presque
totalement mafieux du continent européen, dont la population originelle, serbe,
a été sans pitié chassée de chez elle dans le silence des médias ; ses
monastères détruits et ses maisons incendiées.
Non l’Afrique d’aujourd’hui ne vit pas mieux que du temps de
la colonisation, à commencer parce que l’esclavage (personne ne le dit) et les
massacres ethniques sont repartis de plus belle et que bien des Etats
officiellement constitués sont en faillite aussi bien financière que politique.
Non la Libye d'aujourd'hui n'est pas meilleure que celle
d'hier, puisque au demeurant elle n'existe tout simplement plus, et que son tyran a été remplacé par d'autres, en
plus grand nombre.
Non la démocratie occidentale n’est pas applicable à tous
les continents et à tous les pays. D’abord parce que ce n’est pas un système
unique (voyez comme la nôtre est différente de celle des Etats-Unis ou d’Israël,
ou bien encore de la Grande-Bretagne) ; ensuite parce que ce système politique
ne peut s’épanouir qu’au sein de peuples voyant la personne comme un individu
et non comme une partie d’un tout (société personnalistes contre sociétés
holistiques)…
Dans les grandes questions du monde...
...n’oublions jamais de considérer le paramètre
démographique. Il est capital et le silence des médias et des analystes sur ces
sujets en dit long sur l’aveuglement, qui ne peut qu’être volontaire, de nos
élites autoproclamées.
Ainsi, quel est l’avenir de l’Allemagne, qui aura perdu sept
millions d’habitants en 2030 et se verra peuplée en grande partie de
ressortissants d’origine turque ? Sera-t-elle-la même ?
On sait que l’islam confond la sphère publique et la sphère
privée en refusant absolument de distinguer « Dieu » et « César ». Or, cette
distinction est à la base même des systèmes démocratiques.
Enfin, oublie-t-on qu’une population peut être chassée de
chez elle, ou se voir remplacée par une autre, les autochtones se retrouvant
alors comme étrangers sur leur propre sol ?
Sans remonter à la diaspora juive du premier siècle, pensons
aux Coptes d’Egypte, aux chrétiens de Turquie et d’Asie (20% de la population
en 1900 alors qu’ils sont aujourd’hui 0,02%, soit mille fois moins) ou bien
encore aux Serbes du Kosovo, déjà cités (90% de la population en 1900 et moins
de 10% aujourd’hui) !
Hors les idéologues, qui peut être assuré qu’en France, nous
sommes à l’abri de tels phénomènes ?
Refuser d’examiner la question sous couvert de mots en «
isme » est singulièrement irresponsable.
Or, entendons nous que l’on pose cette question ? Non.
Considérons aussi l’incroyable effondrement démographique de
nos voisins Italiens et Espagnols et tentons d’imaginer ces deux pays dans
trente ans ! « Il n’est de richesse que d’hommes », dit le proverbe.
Que sera la civilisation occidentale si, dans trois siècles,
des touristes visitent nos cathédrales sans que personne ne puisse leur
expliquer le sens d’un Christus pentocrator dont ils contempleront la sculpture
sur le tympan, ainsi que cela se passe pour les églises de Cappadoce, alors que
plus aucun chrétien ne vit aux alentours ?
Rien n’est définitif dans l’histoire des hommes, pas plus le tracé des frontières que les
peuples qui s’abandonnent et doutent d’eux-mêmes.
Enfin, cessons de nous croire à l’abri des menaces
militaires...
... au motif que nous possédons d’admirables sous-marins
nucléaires.
La guerre est bien de retour et le fracas des combats des
Balkans, maintenant assourdi, nous rappelle qu’elle peut s’inviter dans des
contrées européennes très proches, et pourquoi pas chez nous ? Qui peut ignorer
que si tout le monde (tout le monde, sauf nous !) réarme sur la planète, c’est
bien pour quelque raison !
Et l’Europe, direz-vous !
Fort bien, mais l’Europe n’est sur le plan militaire qu’une
addition de faiblesses, vous le savez. Ajouter des faiblesses à d’autres
faiblesses n’a jamais constitué une force mais bien une faiblesse plus grande
encore[2] !
Comme le disait, je crois, Roosevelt au moment de la Grande
dépression, puis au début de l’engagement américain dans la 2e guerre mondiale,
« Ce que nous devons craindre le plus au monde, c’est la peur elle-même ». Or,
l’histoire nous enseigne que les populations qui ont peur de la mort sont
celles qui disparaissent de la surface du globe.
Notre manière « d’évacuer » la mort de la vie sociale est
effrayante en elle-même, car un jour ou l’autre nous devrons combattre pour
notre vie, et donc la risquer. Ne pas s’y préparer c’est nous assurer de perdre
cette vie à coup sûr.
Cela s’appelle la lâcheté, qui n’a jamais attendri aucun
adversaire déterminé ; jamais, bien au contraire.
Rappelons-nous avec honte que certaines erreurs peuvent être
commises puis recommencées : la République naissante déclara la guerre illégale
en 1791 et se trouva en conflit avec l’ensemble de ses voisins deux ans plus
tard. En 1928, à la Société des Nations, cet ancêtre de l’ONU, le « Pacte
Briand-Kellog » déclara la guerre « criminelle » à la face du monde. Onze ans
plus tard aussi bien la France que la Grande-Bretagne étaient acculées à une
mobilisation générale dans des conditions désastreuses, pour aboutir à ce que
l’on sait : l’occupation de toute
l’Europe sauf la Suisse, et aussi les camps de concentration. Nous n’avions pas
voulu lire Mein Kampf, non plus que méditer les pensées de Lénine et voir les
camps soviétiques, qui mèneraient l’un à Katyn et l’autre à Treblinka ou
Sobibor.
« Le droit sans la force n’est rien, la force sans le droit c’est la
tyrannie » disait à peu près Pascal.
Souvenons-nous-en.
Enfin, je voudrais insister sur le sens des mots. Discutant
avec plusieurs d'entre vous pendant la session j'ai une nouvelle fois constaté
que les mots n'avaient souvent pas le même sens pour l'un et pour l'autre. Je
pense à un échange récent sur le mot République dont mon partenaire me disait
que « Pour lui la république c'était… ».
Or, là est le danger : nous n'avons pas à dire que « Pour
nous » un mot veut dire telle chose ; nous devons au contraire nous référer à
sa définition exacte sinon plus aucun échange n'est possible.
Reprenant l'exemple de la République, je lui disais que
celle-ci se définit par trois critères et seulement trois : Un gouvernement
collégial, qui obéit à des lois, et dont le mode de succession n'est pas
dynastique. Un point c'est tout.
La république romaine était-elle démocratique ? Non, mais
c'était tout de même une république.
Donc, ne confondons pas les mots les uns avec les autres.
Ainsi de la démocratie[3], qui peut parfaitement trouver sa place dans un
système monarchique comme en Grande-Bretagne et ainsi de suite.
À notre époque où le dialogue semble érigé à la hauteur de
vertu et de principe cardinal des relations sociales, travaillons donc à ce
qu’il qu'il soit possible au travers de mots employés dans leur juste sens.
Nous aurons alors fait un grand pas vers la clarté et de saines relations
interpersonnelles.
J'insiste : cette question de la précision du vocabulaire
est absolument essentielle si l'on y réfléchit bien.
En conclusion :
-Il nous faut chasser l’idéologie, quelle qu’elle soit ; de
« droite » ou de « gauche ». C’est une maladie mortelle de l’esprit car elle
fait voir la réalité au travers de systèmes d’idées, qui sont autant de
lunettes déformantes.
A l’idéologie il faut opposer le principe de réalité qui
veut que les choses soient ce quelles sont, que cela nous plaise ou non. Alors
on peut agir en espérant ne pas trop se
tromper.
Il n’y a pas de bons camps de concentration (cubains,
nord-coréens, chinois) dont on ne parle jamais, et de mauvais, les nazis, dont
il faut sans cesse se souvenir.
Il y a eu et il y a des camps de concentration où des
innocents sont morts et meurent encore dans des conditions atroces.
Il n’y a pas l’antisémitisme, évidemment condamnable, des «
néonazis », et sa variété excusable, celle des « islamistes », qui est passée
sous silence. Il y a l’antisémitisme (qui d’ailleurs est un antijudaïsme), un
point c’est tout.
Au nom de quoi devrait-on condamner « l’islamophobie » si
l’on ne le fait pas de la « papophobie » ou de la « christianophobie » ? A-t-on
vu un chrétien Chaldéen ou un Melchite se faire sauter dans une mosquée d’Irak
? Un seul ? Dès lors, comment mettre sur le même pied « les » intégrismes ?
Il existe quand même une différence de nature entre un
zélateur d’Al Quaeda et un Mormon, je crois.
Distinguer souverainement le bien du mal, ne pas mettre à
égalité le bon et le mauvais s’appelle aussi : Liberté.
-Il nous faut être convaincus que la France est et reste une
grande puissance. Du moins si elle continue de le décider.
Aujourd'hui, combien de pays ont-ils une représentation
diplomatique dans le monde comparable à la nôtre ? Un seul.
Combien de pays disposent-ils de sous-marins lanceurs
d’engins totalement conçus, fabriqués, maîtrisés par leur gouvernement national
dans le monde ? Trois, et pas la Grande-Bretagne
Combien de pays disposent-ils de porte-avions de premier
rang à catapulte avec une flotte aérienne adaptée, moderne et entrainée ? Deux.
La France est au premier rang de toutes les grandes
négociations mondiales, elle dispose d’un siège de membre permanent au Conseil
de sécurité de l’ONU, ses avions volent dans tous les cieux de la planète. Elle
est au premier rang de la technique, de l’art, de la littérature.
Elle est au premier rang des pays possédant un patrimoine
multiséculaire, admirable et entretenu.
Elle est au premier rang de certains travaux de recherche,
elle inonde une partie du monde de son rayonnement culturel, artistique,
commercial, d’influence, et ce depuis neuf siècles sans discontinuer !
Quand la France parle, on l’écoute, parfois on la jalouse et
on la brocarde de temps en temps, mais
on l’écoute et son message est souvent reçu. C’est un fait.
Cependant… restons modestes et cessons de donner des leçons
au monde entier, car, comme d’autres, nous n’avons pas que des qualités. Le
blanc de notre drapeau n’est hélas pas immaculé. Nous avons aussi de graves
défauts : nous sommes souvent arrogants, légers, hâbleurs, désunis,
insupportables.
Nous voulons répandre les Droits de l’Homme sur le monde,
mais nous avons inventé le génocide sous le terme de populicide, puis l’avons
mis en œuvre en Vendée en 1793. Nous sommes (avec raison) pour la tolérance
religieuse, mais… des Dragonnades de Louis XIV[4] aux « baptêmes républicains »
de Carrier à Nantes ou aux lois d’Emile Combes en 1905[5], nous savons aussi
persécuter nos concitoyens pour leurs convictions religieuses…
Cependant et tout bien considéré, soyons fiers de ce que
nous sommes, mais avec mesure.
Soyons fiers de notre héritage multiséculaire, en ayant
conscience de ce que nous sommes les « débiteurs insolvables » des richesses
léguées par nos ancêtres.
Nous ne pourrons jamais rembourser cette dette, qui nous
oblige.
Mais soyons aussi convaincus que cet héritage est fragile et
peut s’effondrer en quelques années, voire quelques mois si des événements
dramatiques venaient à se produire et auxquels nous n’aurions pas fait face à
cause de notre impréparation, de notre inconscience, ou parinconsistance ou
imprévoyance
Voyez comme s’est écroulé l’Ancien régime en quelque
semaines[6], ou encore le tsarisme, le communisme, la Vienne impériale, sans
parler des empires romain, moghol, khmer ou aztèque…
Ce formidable patrimoine, notre patrimoine (matériel et
immatériel) est fragile et se trouve entre nos mains.
Alors restons vigilants et combattons les idées dangereuses
pour l’avenir, tout en travaillant d’arrache-pied à l’unité de notre nation,
qui en a de jour en jour plus besoin.
Nous savons de mémoire séculaire, depuis Bouvines pour le
moins, que la France unie est victorieuse des défis.
Désunie elle se dissout et, qui sait, pourrait disparaître.
Cela ne se doit pas.
Alexandre Lalanne-Berdouticq
[1]
Grand comme un département de chez nous : 10 000 km2 et un million d’habitants…
[2] Dix estropiés au départ d’un cent mètres olympique ne
feront pas un champion !
[3]
Dont la caractéristique essentielle est que le siège de la souveraineté se
tient « dans la personne du peuple », qui délègue ou non son autorité à des
mandataires (démocratie directe ou indirecte).
[4] Contre les Protestants
[5]
Contre les Catholiques
[6] Il a succombé à des crises multiples et simultanées :
économique avec des dettes abyssales et une fiscalité inopérante et injuste,
une défiance du peuple dans ses élites qui ne le représentaient plus,
l’incapacité du système à se réformer et un pouvoir impuissant qui refusait de
voir la réalité. Comparons avec aujourd’hui…